Cette histoire précède chronologiquement celle qui a été publiée hier. Elle a été insérée également dans mon roman « Hypocoristique ». Cependant, au départ, elle aussi était une nouvelle indépendante.
I
Je venais de rentrer de ma balade dominicale. J’avais alors 45 ans et je me promenais souvent le week-end à Paris. J’écrivais des histoires fantastiques, que j’aurais rêvé de publier, mais qui restaient cachées sur mon disque dur. Aujourd’hui c’était la fête, car j’allais enfin partir en voyage. Cela faisait longtemps que cela n’était pas arrivé, au moins depuis Florence ou San Francisco, quand j’avais été choisi pour écrire un article à propos de l’un de mes jeux vidéo préférés. J’avais cassé ma tirelire et m’étais payé une croisière dans les îles grecques. A vrai dire, je ne savais pas si cela allait me plaire, mais j’avais cette lancinante idée du paquebot Normandie ou je ne sais quoi me hantant régulièrement… Le lendemain lundi, je m’envolais pour Venise d’où je rejoindrais le grand navire blanc qui m’attendait là-bas. Ce soir, je ferais la fête tout seul dans mon coin en buvant un verre de Springbank, ainsi que l’aurait accompli mon double emblématique, Jean Kerglas. Mais ce dernier avait réussi à publier ses œuvres de SF et à en vivre même très bien, réussissant encore à s’offrir un trois pièces rue Récamier ! Moi je vivais en banlieue, ce qui n’était déjà pas si mal. Pourtant, j’y pensais chaque fois que je me rendais au square Boucicaut et me demandais parfois pourquoi je ne pouvais pas vivre la vie de mon double littéraire, avec tellement de jolies femmes, alors que dans mon cas en ce qui concernait ma vie sentimentale, c’était le désert des Tartares !… Certes j’accusais mon âge, même si je paraissais plus jeune, mais j’étais encore joli garçon après tout… Je me mis à rire en pensant aux conquêtes que je pourrais faire lors de mes vacances en me disant qu’un bateau c’était comme une île, petit, et qu’il valait mieux amener sa compagne avec soi…
Je me couchai assez tard après avoir regardé un film sans intérêt, en pensant à autre chose, ainsi que je le faisais souvent.
Le lendemain, je préparai ma valise et me rendis à Roissy par le RER et le Roissybus. Mon avion décollait en début d’après-midi. Le vol se passa bien et j’atterris à Venise quelques heures après avoir quitté mon appartement. Je pris le bus pour la piazza Roma et ensuite le people mover pour me rendre à la gare maritime. Le grand navire était là, tel un vaisseau spatial ou une machine à remonter le temps. Il semblait m’attendre depuis toujours, comme si j’avais rendez-vous avec mon destin ici ! Les formalités d’embarquement se firent dans la joie. Le tout s’accomplit dans l’ambiance d’un club de vacances, ce qui était tout à fait nouveau et inattendu pour moi. J’enregistrai mon bagage et pénétrai à l’intérieur du grand navire. J’en admirai la décoration, même si je la trouvai un peu tape à l’œil. Un buffet allait être servi au self. Je m’y rendis en empruntant les ascenseurs. Je grappillai quelques mets : une pizza, du jambon, des fruits, et m’installai près de la fenêtre. Je pouvais admirer la ville de Venise de haut et trouvai cette expérience parfaitement inédite. Ensuite, je commandai une bière et commençai à rédiger quelques notes dans mon Moleskine, comme j’en avais pris l’habitude depuis des années. Je me levai, passai devant la piscine déjà prise d’assaut par les croisiéristes, et me mis en tête de parvenir dans mes « appartements » qui devait être prêts. J’avais d’abord opté pour une cabine avec hublot dotée d’un seul lit, située à la poupe, mais quelqu’un m’avait affirmé sur un forum spécialisé sur Internet, que, placée près des moteurs, ce genre d’endroit était fort bruyant, aussi avais-je pioché davantage dans mes économies et loué une cabine avec balcon située vers l’avant, sur bâbord. Elle était propre et moderne, décorée avec de jolies reproductions. Je m’allongeai sur le lit, que je trouvai moelleux, et me dis qu’il était dommage que je l’occupasse seul. Puis je sortis sur le balcon et admirai au loin le paysage portuaire, ainsi que les avions qui atterrissaient à l’aéroport Marco-Polo, avec probablement à bord tellement d’habitants de la lointaine Cathay. Enfin le navire se mit en marche. Je sortis mon Nikon et commençai à mitrailler en règle le spectacle. J’avais honte de me trouver ainsi à bord d’un de ces grands navires causant tellement de vibrations et sapant les fondements de la ville, mais ainsi que devait me le dire plus tard un de mes amis, c’était comme cela que Venise ne serait pas figée dans le passé d’une ville-musée ! Cependant j’appris par la suite qu’il existait d’autres manières de maintenir en vie la cité des Doges. Pour l’heure, je découvrais le tourisme de masse, moi qui aimais tellement voyager en loup solitaire…
Le grand navire dérivait lentement le long du canal de la Giudecca, à la suite des nefs ventrues et des galères d’autrefois. Des édifices plus ou moins familiers défilaient devant moi. Il y avait là l’église des Gesuati, que je connaissais bien, et bien sûr la Salute, jouant un rôle si important dans mon roman le plus cher, malheureusement cédé à un éditeur en ligne, lequel n’en avait pas vendu un seul exemplaire ! De cela je m’en voudrais toujours. Plus tard peut-être écrirais-je une autre version, mais il serait bien tard, bien trop tard comme dans ma vie peut-être ?… J’arrivais à l’âge où ces échecs me hantaient et notamment le fait de ne pas avoir rencontré la personne adéquate, qui m’aurait donné une famille. Ou plutôt je l’avais rencontrée autrefois en la personne de ma bien-aimée Alice, mais je n’avais pas su la garder. Cependant, je ne savais même pas si c’était cela que je désirais vraiment : une famille ! Je filais tel un électron libre sur l’orbe terrestre, ainsi que les grands écrivains que j’admirais l’avaient fait, sauf que ma vie comportait hélas beaucoup moins de rencontres, même fugaces, avec de jolies femmes. Malgré tout je n’étais pas sûr de désirer ce genre de donjuanisme, même littéraire.
Je pensais à tout cela tout en photographiant ce paysage de carte postale, cette brochure en trois dimensions de prospectus d’agence de voyage, même si tout près, je devinais la Venise secrète, ainsi que celle qui se cachait derrière les ancres du musée maritime, et d’autres aventures vers les mers du Sud, à la façon des romans de Joseph Conrad ou de Stevenson. Pour l’heure, je franchissais la passe de la lagune et filais vers Bari, que j’atteindrais le lendemain matin. Je décidai de sortir, d’aller prendre un verre dans l’un des bars que j’avais repérés. Je dînerais à 21 h. J’avais donc le temps. Je bus donc un cocktail en regardant un couple russe, son jeune enfant et la babouschka pour le garder. Ensuite, j’allai humer les embruns dans la nuit sur le pont supérieur. J’eusse préféré me trouver à bord d’une goélette ou mieux d’une frégate ancienne. Pour l’heure je n’avais pas le choix. J’étais à bord de ce grand navire, filant sur la mer, ainsi qu’un fer à repasser sur une pile de draps amidonnés, et essayais de ne pas trop me poser de questions. Un peu inquiet toutefois, je me dirigeai vers le restaurant situé à la poupe. Alors, un serveur asiatique me conduisit vers ma place. C’était une table de huit personnes. J’attendis calmement et bientôt un homme entre deux âges vint s’asseoir en face de moi. Il me salua, cependant l’autre ne semblait pas très désireux de communiquer. Un peu plus tard, un couple de jeunes mariés vint nous rejoindre. Ils semblaient fort sympathiques. C’était leur première croisière et ils s’amusaient de tout. Ils disaient venir de Nancy. La jeune femme, une petite blonde un peu boulotte mais plutôt mignonne, semblait très désireuse de communiquer avec moi. Puis, une blonde plutôt jolie vint s’asseoir. Elle effectuait le voyage seule. Elle disait venir de Lille. La nouvelle venue semblait avoir la trentaine. J’appris plus tard qu’elle exerçait le métier d’esthéticienne. Un autre couple, des retraités, vint se placer à table. Enfin arriva la dernière convive, qui prit la dernière place qui restait, celle qui se trouvait immédiatement à ma droite. Elle était de taille moyenne, assez ronde, une trentaine d’années aussi, les cheveux courts, châtains, et était affublée d’un visage porcin. Malgré tout, ses yeux étaient intelligents, bien plus que ceux de la blonde. C’était exactement le genre de fille que j’avais redouté durant toutes mes études et avais tenté d’éviter soigneusement. Et voilà, qu’elle partageait ma croisière et n’avait rien trouvé de mieux que de s’asseoir près de moi ! La conversation du jeune couple s’avéra banale, celle du célibataire inexistante, et celle de la blonde sans grand intérêt, ainsi que celle des retraités. Par contre ma voisine de droite (elle s’appelait Laurence) était tout à fait passionnante. Elle travaillait au musée gallo-romain de Lyon comme assistante de conservation et était également titulaire de l’agrégation de lettres classiques. Elle rêvait en particulier de voir Olympie et Santorin. Je lui parlai de mon amour, jusque-là resté littéraire de la Grèce. J’évoquai je ne sus trop pourquoi un roman qui m’avait tant marqué, « le rire de Sara », lequel parlait avec brio d’un amour qui transcendait les siècles. Il se trouva qu’elle l’avait lu aussi et que c’était même en partie pour cela qu’elle voulait se rendre à Santorin… Le dîner s’acheva, banal. Tous les convives se retirèrent. La jolie blonde se leva en m’adressant un clin d’œil, je ne sus trop pourquoi. Je craignais qu’elle se méprît sur l’évolution de ma relation avec Laurence, ou alors c’était une façon de me draguer… Nous restâmes seuls. Je proposai à ma nouvelle amie de se dégourdir les jambes sur le pont. Je ne savais trop que faire. Cette jeune femme me plaisait beaucoup intellectuellement, mais pas du tout physiquement, malheureusement. Si je l’invitais à prendre un verre, elle se méprendrait certainement sur mes intentions. Or, j’avais expérimenté dans le passé de telles situations délicates, que je ne désirais plus voir se renouveler. Nous allâmes donc discuter sous la Lune, en marchant sur le pont supérieur, évoquant l’Odyssée, et les souvenirs souabes qui nous attendaient le lendemain à Bari. Puis, ne voulant m’aventurer trop loin avec cette fille, je prétextai la fatigue et dis que je lui souhaitai une bonne nuit. Je la plantai là, en me demandant ce qu’il se passait, me trouvant un peu goujat, mais me disant que j’avais évité de prendre un verre avec elle, et surtout de la raccompagner à sa cabine. Une fois dans la mienne, j’ouvris la fenêtre du balcon, inspirai un grand bol d’air, avant de me précipiter sur le minibar pour me servir un whisky… J’essayai de lire le livre d’O’Brian que j’avais emporté, mais n’y arrivai guère. Je zappai un temps sur la télévision, mais ne trouvai aucun programme intéressant. Alors je laissai le canal qui présentait les excursions du lendemain à Bari et me concentrai sur le château de Frédéric II et les histoires de Fantasy que j’essayais d’écrire dans une Italie du XIII e siècle revisitée. J’allai prendre une douche, en me demandant comment autant d’esprit pouvait s’allier à un tel physique aussi disgracieux. Quelle faute cette fille avait-elle commise dans une vie antérieure pour mériter un tel sort ? Et pourquoi étais-je incapable de faire fi du physique pour voir, ainsi que dans un conte à l’eau de rose pour journal féminin ou façon Hollywood, l’âme de cette personne au-delà d’un look banal voire repoussant ? Je culpabilisai en tant que mâle programmé pour aimer de belles blondes à fortes poitrines (lesquelles d’ailleurs ne m’avaient jamais réussi, et ce qui, selon Thomas Mann s’expliquait par le désir génésique d’avoir de beaux enfants sains !) et relativisai en me disant qu’après tout je ne devrais rechercher que l’amitié… J’en venais presque à regretter que Laurence ne fût pas un homme, hétérosexuel évidemment, ce qui aurait réglé le problème ! Pourquoi le sexe en ce monde venait-il toujours tout compliquer ?
II
Le lendemain, je me réveillai tôt et admirai depuis mon balcon la lumière argentée du soleil matinal sur l’Adriatique. Je me douchai, m’habillai d’une manière estivale et me rendis à la poupe prendre mon petit déjeuner au restaurant. Je fus placé près des hublots, d’où j’admirai le sillage, ainsi que la mer. Je me trouvais à une petite table et personne ne me tenait compagnie. Si seulement, pensai-je, j’avais pu emmener avec moi l’une de celles dont je rêvais, l’une de mes héroïnes de roman, ou même Alice qui sait, le moment aurait été beaucoup plus romantique ! Mais voilà, il n’y avait que Laurence dans ma vie réelle. D’ailleurs, Dieu merci, elle ne semblait pas aussi matinale que moi. Je déjeunai à l’anglaise, comme à mon habitude quand j’étais en voyage, et regagnai ma cabine pour attendre le moment où je pourrais débarquer. Je lus un peu, mais pas mon exemplaire de la saga Aubrey-Mathurin. Non, j’ouvris la petite édition bilingue de l’Odyssée que j’avais emportée et relus la rencontre entre Ulysse et Nausicaa.
Ωσ εἰπών θάμνων ύπεδύσετο διοσ Ὀδυσσεύσ,
ἐκ πυκλιυἠσ δ´ ὒλησ πτόρθον κλάσε χειρὶ παχείη
Φύλλων, ὤσ ρύσαιτο περί χοί μὴδεα φωτὀσ,…
Depuis combien de temps voguais-je ainsi sur des mers imaginaires, à la recherche d’une Pénélope et d’une Ithaque, lesquels semblaient s’éloigner chaque fois plus loin ? C’était comme si je m’aventurais toujours plus avant vers la mer du Couchant, au lieu de rentrer en apparence au bercail… Je refermai ce livre, mon préféré, que je connaissais depuis l’enfance, car malgré tout, il évoquait Laurence. Or, je n’avais pas envie de gâcher ma journée. Ce serait suffisant, me dis-je, d’avoir à l’affronter ce soir ! Plus tard, je marchai dans Bari et ma promenade se termina par une visite du château souabe. Heureusement je ne rencontrai pas ma voisine de table. J’appris plus tard qu’elle avait réservé une excursion dans ce petit village avec les maisons aux toits étranges, Alberobello…
Je regrettai un peu moins de ne pas avoir pu visiter le château de Castel del Monte, trop loin, et qui jouait un rôle si important dans mes histoires. Je m’achetai un petit opuscule sur cet édifice pour me consoler. Ensuite j’allai déjeuner en ville et je pris mon premier café italien depuis longtemps, au moins depuis Florence il y a plusieurs années ! Je visitai la vieille ville, achetai quelques babioles et me recueillis dans la basilique, où était enterré saint Nicolas, au milieu des touristes russes. Puis je regagnai le navire et, après avoir pris une douche et m’être changé, j’allai prendre un verre dans ce bar que j’affectionnais. Je redoutai le moment de retourner manger et songeai à changer de service pour éviter de croiser celle dont l’âme me plaisait, mais dont le corps disgracieux me repoussait. Finalement, après avoir erré çà et là, admiré la décoration digne de Cinecittà du navire, j’allai m’installer à ma place au restaurant. La blonde d’hier ne fit pas réapparition. Par contre, Laurence vint s’installer tout comme la veille à ma droite. Nous nous racontâmes nos découvertes du jour et parlâmes de notre excitation de voir enfin la Grèce. Aucun de nous n’y avait encore posé les pieds. J’avais bien conçu plusieurs projets de voyages durant mes études, mais pour une raison difficile à imaginer, je ne les avais jamais concrétisés. Il semblait que Laurence fût dans le même cas. Elle me parla de ses vacances en Angleterre, en Allemagne et en Italie, ainsi qu’aux États-Unis et je lui racontai les miens en insistant sur mon voyage namibien qui m’avait tant marqué. Ainsi passa la soirée ! J’hésitai, mais proposai finalement à Laurence de prendre un verre dans ce bar où l’on jouait du jazz. Tout comme moi, la jeune femme aimait beaucoup cette musique et nous évoquâmes alors nos discothèques personnelles, nous découvrant une passion semblable pour Stan Getz et Diana Krall. Ensuite, Laurence changea de conversation. Il se trouvait en fait qu’elle avait hérité de la cabine que j’avais déclinée. Elle avoua qu’elle n’avait pu beaucoup dormir à cause des moteurs. Là un ange passa et je reportai mon attention sur la musique. Nous promîmes enfin de visiter ensemble Olympie et nous donnâmes rendez-vous devant les bus qui emmèneraient les passagers en excursion libre le lendemain. Nous nous quittâmes enfin, sans que j’eusse proposé à Laurence de la raccompagner à sa cabine, encore moins de prendre un dernier verre dans la mienne…
J’errai assez tard ce soir-là et finis par échouer dans la discothèque, où je croisai la blonde d’hier en compagnie de deux Allemands. Elle ne m’adressa aucun regard. Je pris un verre, fis semblant de me tortiller sur un tube d’Earth Wind & Fire avant de sortir respirer. Je décidai de me coucher, après avoir encore une fois admiré la mer depuis mon balcon. J’eus une pensée un peu triste pour Laurence, seule dans sa cabine bruyante et songeai à quoi j’avais échappé. Il m’aurait suffi d’un mot pour lui éviter cette contrariété ce soir, mais je n’y songeais même pas. Je pris ma douche et me mis au lit avant de sombrer dans un sommeil profond.
*
Seule dans sa chambre de paria, Laurence était triste. Elle s’était mise en chemise de nuit et observait dans la glace ce corps informe que lui avait cédé la nature. Pendant longtemps elle avait pensé que son intellect compenserait ce terrible handicap, mais les hommes qui s’intéressaient à elle ne lui plaisaient pas et elle ne réussissait jamais à séduire ceux qui l’attiraient. Or Ludovic l’attirait énormément, elle en avait conscience. Effondrée, elle se jeta sur son lit, ignorant jusqu’au grondement sourd des moteurs, et fondit en larmes. Elle resta ainsi prostrée plusieurs longues minutes, mais soudain elle réalisa qu’elle n’était pas seule dans la cabine. Effrayée, elle se retourna et découvrit la plus merveilleuse femme qu’elle eût jamais vue. Elle était nimbée d’une aura surnaturelle, vêtue d’une longue péplos, et coiffée comme une tanagra. Elle lui demanda qui elle était. L’apparition lui avoua qu’elle était la déesse Héra, qu’elle avait entendu sa plainte et qu’elle était venue l’aider à se venger. Laurence répliqua qu’elle ne souhaitait pas se venger. Elle était seulement très malheureuse. Alors la déesse lui proposa un étrange marché. Elle la transformerait en Hélène, sa sœur, qui serait dotée du charme ensorceleur d’une magnifique blonde, auquel serait allié toute la personnalité dont elle était dotée… Hélène n’aurait qu’à la remplacer. Laurence, quant à elle serait invisible sur cet immense navire, et on n’aurait qu’à dire qu’elle avait changé de service pour le dîner. La jeune femme demanda jusqu’à quand durerait le charme. Héra lui annonça qu’il s’effacerait à l’aéroport de Venise. Laurence se dit que Ludovic pourrait bien tomber amoureux d’Hélène, mais qu’une fois le charme passé, la présence de Laurence lui paraîtrait encore plus cruelle. Elle dit alors à l’apparition : « Retire-toi ! » Alors la déesse, ou la supposée déesse partit dans un grand rire et dit à la jeune femme qu’elle lui laissait la nuit pour réfléchir, qu’elle reviendrait à l’aube et qu’assurément sa victime serait plus raisonnable.
III
Le lendemain matin, après avoir déjeuné, je quittai le navire et me dirigeai vers les navettes qui devaient gagner Olympie. Un peu angoissé, j’attendais la venue de Laurence. Je me disais, qu’après tout, j’aurais préféré visiter le sanctuaire seul, plutôt qu’avec une femme qui ne me plaisait pas. Cependant, j’avais décidé de m’en tenir à l’amitié cela quelle que soit la réaction de l’autre. Malgré tout, je n’avais jamais cru à l’amitié entre hommes et femmes. Celle-ci ne pouvait se faire qu’à distance ou alors à condition que chacun fût marié de son côté.
Laurence ne venait pas et les bus allaient partir. J’étais prêt à monter à bord. Soudain, j’aperçus une magnifique blonde, qui me souriait dans une petite robe d’été. Je n’osais pas la détailler, mais j’eus tout de même le temps de voir qu’elle était bien faite. Elle était plutôt grande aussi. Où s’était-elle cachée ? Je rageai un peu de ne pas m’être retrouvé à sa table. Je m’attendis à voir venir l’inévitable « compagnon » de service, mais la fille semblait seule. Ne voyant pas venir Laurence, j’hésitai à l’aborder. Cette dernière m’aurait trouvé mufle !…
Contre toute attente, elle s’approcha de moi. Elle s’excusa, me demanda si j’étais bien Ludovic et me tendit la main. Ce contact furtif m’électrisa. J’étais complètement sous le charme de cette jolie blonde, dont le parfum dégageait des effluves épicées et ambrées. Elle me dit que Laurence demandait de me pardonner. Elle avait, au dernier moment décidé de s’inscrire à une autre excursion, pour voir un groupe folklorique grec et goûter des spécialités. La jolie blonde se présenta. Elle était la sœur de Laurence et s’appelait Hélène. J’affectai de ne pas trouver ce revirement étrange, et ne m’inquiétai pas de savoir d’où sortait cette mystérieuse sœur, aussi jolie que l’autre était désavantagée, et qui ne partageait même pas notre table… Nous montâmes tous les deux dans le bus et nous installâmes l’un à côté de l’autre. En route, Hélène raconta qu’elle était la sœur cadette de Laurence, et qu’elle avait suivi le même parcours : agrégation de lettres classiques, avant de finir par travailler pour une maison d’édition. La conversation de la jeune femme était au moins aussi agréable que celle de sa sœur et il me paraissait que je vivais dans un rêve. Nous arrivâmes enfin à Olympie et descendîmes du bus. Nous remontâmes la rue principale aux multiples boutiques de souvenirs et nous dirigeâmes vers le sanctuaire. Partout, on voyait des chênes, arbres consacrés à Zeus. Le fleuve Kladéos rajoutait un supplément de magie à l’atmosphère. Je pensai à une musique de Debussy ou de Ravel. Je m’attendais à voir un satyre ou une nymphe surgir d’un buisson. Nous visitâmes le sanctuaire, nous attardant notamment devant les vestiges du temple d’Héra. Hélène frissonna. Elle s’attendait à voir la déesse surgir de nouveau ou pire à redevenir Laurence instantanément. Elle marcha en direction du stade et je la suivis. En entrant, j’eus presque la vision des athlètes qui couraient ici. J’avais même l’impression d’en être un. Hélène cita un fragment des Olympiques de Montherlant, celui dans lequel des athlètes couraient côte à côte. Puis, nous visitâmes les autres ruines et nous attardâmes devant la petite chapelle, édifiée dans l’atelier de Phidias. Je dis qu’il était dommage que Théodose eût détruit tout ceci. Nous méditâmes sur ce qui restait du temple de Zeus et évoquâmes la fameuse statue chryséléphantine du dieu. Nous nous attardâmes un peu sur place, cependant le temps pressait. Nous n’aurions malheureusement pas le temps de visiter le musée. Il faudrait revenir… J’eus soudain un frisson. J’avais l’impression que la présence d’Hélène était un redoutable cadeau des dieux, qu’elle finirait par disparaître telle une déesse de la végétation en hiver ! Hélène de son côté pria Héra de la laisser rester telle qu’elle était maintenant, pour que je l’aime. Mais les dieux entendaient-ils encore les mortels depuis qu’un empereur chrétien les avait chassés à tout jamais de leurs sanctuaires ?
Je m’aperçus que mon amie semblait triste. Je lui pris la main et lui proposai d’aller boire un café grec. Je lui parlai de ce libraire arménien près du Panthéon qui m’en offrait un chaque fois que je me rendais dans sa librairie. Hélène sourit enfin, mais n’apprécia guère la boisson. Elle pensait que le café grec était un café frappé… Nous parlâmes un peu de tout et de rien, de notre vie près de Paris ou à Lyon. J’évoquai ma passion pour l’écriture et la jeune femme fut intéressée. Je lui dis que je pensai actuellement me trouver dans l’un de mes livres, car elle ressemblait trait pour trait aux jeunes personnes que j’avais l’habitude de décrire. Enfin, nous sortîmes, achetâmes quelques babioles, ainsi que quelque nourriture et boisson, que nous absorbâmes sur un banc de la petite gare déserte. Ce lieu semblait hors du temps. Seuls les magasins de souvenirs le rattachaient à notre civilisation marchande et déconnectée du monde spirituel. Il était l’heure de rentrer. Nous regagnâmes notre bus, lequel nous conduisit bien vite à Katakolon, où était ancré le navire. Nous montâmes à bord ensemble. Hélène me confia qu’elle allait retourner dans sa cabine se délasser un peu. Je lui demandai à quel service elle mangeait. Elle me répondit que c’était le premier. Je regrettai de ne pas pouvoir la voir au dîner. Elle me certifia que je verrai Laurence et que je pourrai lui raconter ma journée. Elle me fit la bise et s’éclipsa avant que je n’aie pu lui proposer de nous retrouver pour un verre. Je la vis s’éloigner et restai sur place, ne pouvant réagir, incapable même d’essayer de la rattraper. Ainsi, ce soir Laurence ferait sa réapparition au dîner et je ne pourrais lui parler trop précisément d’Hélène sans paraître grossier, encore moins lui demander quelle cabine elle occupait. J’étais réellement de très mauvaise humeur. Je rentrai dans ma cabine, pris une douche et m’assis sur le balcon pour réfléchir. J’avais l’impression qu’on me cachait quelque-chose, mais j’ignorais quoi et cela me rendait furieux, m’empêchait même de lire. Le navire quitta enfin le quai. Le lendemain, nous serions à Santorin, ce dont j’avais toujours rêvé !
*
Seule dans sa cabine, Hélène s’était déshabillée. Elle admirait maintenant son corps parfait dans la glace, ses jolis seins hauts perchés, rien à voir avec les informes mamelles pendantes dont elle avait l’habitude, et ses jolies fesses bien fermes, son ventre plat et ses bras blancs. Son pubis épilé lui donnait l’air d’une statue grecque… Elle délaça ses cheveux et fit tomber sa chevelure blonde sur ses épaules d’ivoire. Elle observa alors la bouche mutine, s’adressa un baiser dans la glace et se lança une œillade à faire fondre le plus blasé des ermites. Elle admirait la beauté de son regard bleu. Son nez mignon n’avait plus rien à voir avec le groin infâme dont elle était affublée d’habitude. Elle prit sa douche. Son corps était en feu. Elle avait besoin d’un homme et pensa à Ludovic… Puis elle s’allongea sur son lit, renouvela ses caresses et s’endormit. Quand elle se réveilla, il était plus de huit heures. Elle parcourut son corps et tâta la graisse qui était revenue comme une malédiction, ainsi que les poils qu’elle ne faisait pas disparaître. Pourquoi l’aurait-elle fait ? Aucun homme ne l’avait touchée depuis une éternité et elle trouvait cette mode de l’épilation parfaitement risible, un piège fomenté par les marchands de cosmétiques… Elle se dirigea vers le miroir et pleura. Laurence était réapparue dans l’évidence de sa laideur. Elle se souvint que la déesse Héra lui avait annoncé après coup, quand elle était revenue le matin pour la tenter de nouveau, que puisqu’elle avait refusé de l’adorer, le charme serait rompu à la nuit… Ainsi, Laurence n’aurait même pas la consolation de séduire son bel ennemi à l’heure où tous les amants pensent à cette ronde qui mène inévitablement le monde ! Elle observa la valise d’Hélène que lui avait laissée Héra, les petites robes, les bikinis et la lingerie sexy dans laquelle elle ne rentrerait jamais avec son 50 de tour de taille ! Elle fouilla dans son placard et chercha quelque-chose de pas trop moche pour ce soir. Elle ne s’intéressait pas à la mode, trouvant cela futile. Elle ne se maquillait jamais non plus et ne faisait pas d’effort de coiffeur. Le résultat était une jeune femme « pas consommable » comme lançaient ces hommes légers qu’elle méprisait, un vrai remède à l’amour comme en auraient dit d’autres !…
*
Elle sortit dans le couloir, prit l’ascenseur et se dirigea vers le restaurant. Elle était bonne dernière comme d’habitude. Elle me fit la bise et me demanda innocemment comment s’était passée ma journée. Je lui dis que je m’étais beaucoup amusé en compagnie d’Hélène et que je m’étais demandé pourquoi elle n’était pas venue. Elle aurait sans doute apprécié la visite du sanctuaire ! Je lui demandai si son excursion s’était révélée intéressante. La suite de la conversation fut polie sans plus. Il y avait quelque-chose de cassé entre nous. Je pensais à Hélène et me demandais ce qu’elle faisait. Peut-être était-elle dans un bar à se faire draguer, alors que j’essayais de faire bonne mine à ce boudin ? Cela me rendait fou ! Je répondis à peine quand Laurence me proposa de visiter Santorin avec elle. Je finis par lui avouer que j’avais envie d’être un peu seul demain, histoire de prendre des notes pour un prochain livre. Je m’excusai à la fin du repas, lui annonçai que je souhaitais être tranquille ce soir-là aussi, lui demandai de ne pas m’en vouloir, que je n’avais rien contre elle, que c’étaient juste les démons du passé qui me reprenaient… Ainsi, Laurence se retrouva abandonnée. Elle essaya de ne pas s’en faire et alla regarder le spectacle au théâtre, parfaitement affligeant d’ailleurs… Quant à moi, j’errais de bar en bar, buvant un peu trop, essayant de retrouver cette Hélène tellement sublime qu’elle était sûrement irréelle, une de ces farces dont les dieux grecs étaient coutumiers avec les mortels, et contre lesquelles les philosophes savaient se prémunir à travers l’apparence des choses. Cette idée me faisait rire, car je restai collé justement aux apparences. Comme me l’avait appris mon professeur de philosophie en terminale, au-delà des apparences, justement il n’y avait rien. Mais moi je vivais dans l’illusion, ce qui était différent. Je finis par me rendre à la discothèque. Évidemment, Hélène n’y était pas. Je tombai sur la blonde de l’autre jour, Mélanie. Elle était seule et je lui adressai un regard. Je m’approchai et lui demandai si je pouvais lui offrir un verre. Elle vit que j’étais triste et me demanda ce qui n’allait pas. J’hésitai à me confier, lui déclarai finalement que j’avais passé la journée avec une déesse et qu’elle était introuvable ce soir. Vu que cette Mélanie dînait maintenant au premier service, je lui décrivis Hélène et lui demandai si elle ne l’avait pas croisée. Elle déclara qu’elle n’avait rien remarqué et m’entraîna danser sur des tubes à la mode. Mélanie était gentille, mais pas suffisamment jolie pour me faire oublier Hélène, pas assez intelligente et cultivée pour me consoler de ma mélancolie et de mon malaise vis-à-vis de Laurence… Je lui confiai que j’étais fatigué et que j’irais me coucher en prenant un peu l’air sur le pont. Elle me dit adieu. Elle avait encore envie de s’amuser. Je lui souhaitai bonne chance et m’éloignai sans me retourner.
J’étais un peu gris ce soir-là. L’air du large me fit du bien. Je me demandai ce qui était arrivé. Je me promis de réclamer à Laurence le lendemain le numéro de la cabine d’Hélène, même s’il s’agissait-là de pure goujaterie.
IV
La nuit, Laurence essayait de dormir, quand elle sentit de nouveau une présence dans la chambre. Une déesse sublime flottait dans son nimbe. Elle était nue et ressemblait un peu à Hélène. Elle lui annonça qu’elle était Aphrodite et qu’elle souhaitait réparer les agissements d’Héra. Le lendemain, elle se réveillerait dans le corps d’Hélène, et il n’y aurait plus d’interruption la nuit. A quoi bon, lui dit Laurence si au bout du compte Hélène disparaissait à l’aéroport et avec elle Ludovic ? La déesse lui confia qu’elle pouvait annuler tout le charme. En compensation, si malgré tout elle arrivait à entraîner Ludovic dans son lit, elle lui accorderait de devenir Hélène pour toujours et Ludovic ne se rappellerait même pas de Laurence. La jeune femme poussa un soupir. Elle fit à la déesse un compliment sur sa beauté et lui dévoila son corps. « Quel homme, dit-elle, a envie d’une femme comme cela ?
– J’en connais, mais ils ne te plairaient pas ! Pourquoi t’attacher à ce Ludovic ? Après tout il n’est pas si bien que cela et puis, je peux te l’avouer, je le connais bien, il est trop attaché à ce que Platon appelait le Beau.
– Le Beau ? Mon âme n’est-elle pas belle dans ce corps informe ?
– Elle l’est plus que tu n’imagines encore. Il fut un temps où tu étais plus ravissante qu’Hélène de Troie elle-même, cependant tu as fait souffrir les hommes un peu trop et le grand Zeus t’a fait renaître dans un corps qui ne convient plus à la beauté de ton âme ! »
Laurence s’effondra sur son lit.
« Pourquoi une telle cruauté ? Qu’ai-je fait de si mal ?
– Allons ne perds pas espoir ! Je te laisse réfléchir jusqu’à demain pour savoir si tu veux risquer d’être Hélène le temps de ce voyage et vivre alors ce dont tu rêves, ou si tu veux risquer le tout pour le tout et conquérir celui que tu aimes.
– Tu te gausses ! Il est impossible que Ludovic aime Laurence, surtout depuis qu’il a rencontré Hélène ! »
Alors, la déesse lui envoya quelques roses et se retira.
*
Le lendemain matin, j’attendais l’embarquement pour le port de Fira. Je fus à peine surpris de voir Hélène qui me souriait. Elle me rappelait étrangement Alice et j’en fus troublé. Quel était ce tour que me jouaient actuellement les dieux ? Je m’approchai et l’embrassai. Je lui dis que j’aurais aimé la revoir la veille au soir, mais elle m’annonça que fatiguée, elle s’était couchée tôt. Elle me sourit et enleva ainsi tous mes doutes. Nous prîmes place tous deux dans la vedette et nous dirigeâmes vers l’île… l’Atlantide. Pour moi c’était le but du voyage. Je regrettais seulement de ne pas rester plus longtemps. Nous mîmes pied à terre. Il y avait la queue pour le téléphérique. Je ne voulus pas monter sur le dos d’un âne et souhaitai escalader la pente à pied, mais Hélène me convainquit de changer d’avis. Ainsi, c’est à dos de mule que nous arrivâmes à Fira. Nous fîmes beaucoup de photos, allâmes visiter le musée d’archéologie avec ses céramiques et nous décidâmes enfin à aller manger dans une taverne, face au volcan. Là je déclarai à ma compagne que je l’aimais depuis trois mille ans et autres stupidités romantiques issues de mes lectures… Hélène succomba à mon charme, je dois avouer. Nous nous embrassâmes pour la première fois dans un coin de la ville. L’Atlantide pouvait maintenant nous rattraper et surtout l’implacable vengeance des dieux ! … Hélène en tremblait, car elle était seule à savoir. Moi, je vivais dans un rêve, même si c’était une illusion. Nous redescendîmes à dos de mule et nous retrouvâmes bientôt à bord. Nous allâmes nous restaurer de nouveau au buffet. Et puis je proposai à Hélène de visiter ma cabine. Elle en mourait d’envie. Je lui demandai si elle voulait prendre une douche et la déshabillai, découvrant son corps semblable à celui d’une statue de Phidias. J’ôtai à mon tour mes vêtements et nous allâmes nous rafraîchir, avant de devenir amants. Puis j’ouvris le frigo et proposai à Hélène de boire un peu de prosecco. Nous nous rhabillâmes et observâmes le départ depuis le balcon. Ensuite, nous allâmes chercher les affaires d’Hélène dans sa sinistre cabine, oubliant celles de Laurence…
Je m’étais arrangé pour manger au premier service. Nous nous retrouvâmes à une table pour deux, au milieu d’un groupe de Suisses qui donnait un concert à bord. Nous évoquâmes encore une fois l’Atlantide. Hélène dit qu’elle y avait vécu et qu’elle y était morte. Je n’avais pas ce genre de souvenirs, mais devant cette Hélène-là, je me sentais comme Pâris prêt à provoquer la guerre de Troie et c’est justement ce qu’Héra me reprochait ! Nous allâmes boire un verre en écoutant du jazz, puis nous promenâmes ensemble en humant la mer Egée. Nous nous fîmes prendre en photo aussi. Puis, nous retournâmes à ma cabine et fîmes de nouveau l’amour avant de nous endormir repus.
Le lendemain, nous arrivâmes au Pirée, mais ne pûmes voir Athènes, car l’escale était trop courte et nous n’avions aucune envie de nous inscrire aux excursions où l’on visitait la ville au pas de charge. Nous allâmes chercher nos photos. Hélène les conserva. Elle pensait que c’était tout ce qui lui resterait comme souvenir…
L’escale suivante nous menait à Corfou, cette île de Prospéro où Hélène jouait les Miranda. Puis vint Dubrovnik, que nous visitâmes au pas de charge. Enfin, on arriva à Venise. J’avais réservé deux nuits sur place et souhaitais qu’Hélène restât avec moi, mais elle me dit qu’elle ne pouvait manquer son avion, et qu’elle devait reprendre son travail. Elle refusa que je l’accompagnasse à l’aéroport. Là, Hélène disparut comme l’avaient annoncé les déesses. Laurence soupira en observant son image dans la glace des toilettes. Elle monta à bord de son avion. Enfin elle sortit les photos. Hélène était toujours là ! … Elle retint ses larmes. Plus tard je rentrai chez moi, moi aussi et communiquai avec Laurence par Skype. Je lui disais que je l’aimais à la folie, mais elle refusait toujours d’ouvrir la caméra. J’étais victime d’une terrible illusion. Je cherchais en fait Alice… Laurence scanna les photos du bateau et me les envoya. J’expédiai les miennes, celle notamment de la taverne de Santorin. C’était tout ce qu’il resterait d’Hélène… Je promis de venir à Lyon retrouver Hélène, mais Hélène n’existait plus. Comment aurais-je compris ? La troisième déesse, Athéna n’apparut point pour donner la solution de l’énigme. Les hommes souhaitent épouser des femmes intelligentes, mais veulent également qu’elles soient dotées d’un physique digne d’Aphrodite ! Parfois les femmes réunissent les deux qualités, parfois elles ne sont qu’intelligentes ou seulement jolies. Rarement elles sont à la fois laides et stupides. Don Juan désirait toutes les femmes, mais je ne suis pas cet homme-là et je n’ai jamais aimé qu’Alice.